Dans une lettre ouverte adressée au Président de la République, Siméon Salpétrier dénonce les conditions de mise en oeuvre de la collectivité unique de Martinique. L’ancien premier secrétaire de la Fédération socialiste de la Martinique, et ancien élu, craint « un zombi juridique qui plombera pour des décennies le statut institutionnel » de la Martinique.


« Monsieur le Président,


Mes premiers mots sont pour me rappeler à votre bon souvenir.


Je suis l’unique membre fondateur encore vivant de la Fédération Martiniquaise du Parti Socialiste créée en 1972 au Congrès de Trinité.


Ancien Premier Secrétaire Fédéral de 1976 à 1985, au Congrès de Metz, j’ai été élu membre du Comité Directeur du Parti selon les vœux de François MITTERRAND.


Les responsabilités militantes, électives et politiques que j’ai exercées m’obligent, à l’automne de ma vie, à vouloir éclairer avec, à la fois abnégation et objectivité, les contours de ce qui est appelé à devenir la Collectivité Unique de Martinique. Je le fais au moment où vous avez décidé d’entreprendre la difficile réforme des Régions de France.


A ma connaissance, ce projet qui inclut la Corse ne fait pas mention des régions d’outremer. Je n’en suis ni étonné, ni choqué. Notre altérité, depuis longtemps, a fait de nos pays des terres d’exception et occasionne parfois des décisions souvent dilettantes.


Ainsi, suite à la visite de Nicolas SARKOZY en 2009, son désir de parvenir à un compromis qui lui serait électoralement favorable, a généré une singulière consultation des citoyens martiniquais basée sur l’acceptation ou non d’une Assemblée unique, qui, à son tour, a débouché sur un choix institutionnel modifié: la collectivité unique, sans lien juridique avec la question posée.


Plus surprenante est l’adoption de la loi du 27 Juillet 2011 qui, officiellement, donne naissance à cette collectivité unique.


Monsieur le Président, la République française a, à sa disposition, deux instances juridiques capitales qui veillent au respect de ses règles et de la démocratie : le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel. Ces instances, l’Elysée, le Gouvernement, l’Assemblée Nationale, le Sénat, disposent de tout ce que la France peut compter comme gotha de la connaissance en Droit public.


Comment comprendre que moi qui ne puis m’appuyer que sur l’expérience acquise, j’arrive, après analyse, à conclure que cette gymnastique d’un juridisme douteux, aboutit à un véritable fatras administratif ?


Quand on sait la difficulté qu’engendre tout processus institutionnel nouveau pour devenir fonctionnel puis, après maturation, évoluer pour concorder avec la société et le temps, j’ai du mal à contenir mon pessimisme. Cette immense inquiétude qui m’envahit quand je sais que ce petit monstre qui ne repose sur aucun fondement juridique en conformité avec la Constitution de 1958 et les lois électorales de la République va concerner les jeunes générations de la Martinique confrontées à un taux de chômage inacceptable et l’obligation de migrer pour gagner sa vie, m’oblige, M. le Président à hurler mon indignation.


Vous qui connaissez la capacité de manipulation de la Droite, comment cautionner un tel bricolage qui, s’il est adopté, occasionnera toutes sortes de confrontation ?


Les élus sont aussi les préparateurs de l’avenir. Leurs moyens se fondent d’abord sur les règles juridiques prescrites par les lois. Si, au départ, celles-ci sont viciées dans leur substruction, c’est la porte ouverte à toutes les dérives.


La Martinique, aujourd’hui, souffrant de toutes les pathologies chroniques transmises par les tares économiques, sociétales, politiques, ethniques…aggravées par l’impossible dialogue social qui entraîne la prise d’otages par l’essence, par les opérations « môlôkoÏ », par les blocages des routes et des entreprises stratégiques, la Martinique, pour son avenir, ne peut hériter, en plus, d’un zombi juridique qui plombera pour des décennies son statut institutionnel.


Un simple examen honnête, objectif, de cette mauvaise copie devrait aboutir à la correction nécessaire tant sur la consultation, non conforme à la loi électorale, que sur la collectivité, non compatible avec la Constitution (article 73).


Monsieur le Président, votre vigilance peut éviter une telle catastrophe et je reste persuadé que les Martiniquais sauront vous manifester leur reconnaissance.


Quant à moi, en poussant ce cri d’alerte, après avoir exercé, des années durant, ce qui conforte chez l’homme le sentiment de dignité, d’honnêteté et de responsabilité, j’aurai accompli un devoir que j’aimerais salutaire.


Je suis attentif aux efforts que vous fournissez pour redresser la France. Je m’attriste du manque de solidarité qui se manifeste chez beaucoup trop de Français qui donnent l’impression de s’abandonner à un fatalisme que des agioteurs patentés encouragent tout en voulant le rendre collectif pour mieux atteindre leurs objectifs, là où la mutualisation des possibilités de chacun s’avère indispensable. L’égoïsme s’alimente de la difficulté !


Je veux éviter d’en ajouter pour la Martinique.


Je vous remercie donc si vous accordez un peu d’attention à mon signalement et vous assure de mon engagement socialiste.


Siméon SALPETRIER


Exposé des motifs :


Cette adresse au Président de la République fait suite à sa volonté exprimée d’engager la réforme des régions de France.


J’ai préféré souligner la fragilité des fondements juridiques sur lesquels va s’ériger le nouveau statut institutionnel de la Martinique, laissant le soin à ses conseillers juristes de rentrer dans les détails du texte. Mais il convient, pour mieux comprendre la motivation de mon initiative, d’apporter les éclaircissements qui fondent mon pessimisme.


1 . La Conception :


L’atmosphère qui a entouré la fécondation du projet a conduit à une procréation artificielle issue de deux hommes : Sarkozy et Letchimy. Elle était donc conditionnée par deux idéologies antagonistes sur la forme et deux ambitions similaires quant à l’objectif (une majorité électorale). La démocratie était absente du liquide amniotique, l’enfant qui s’en est dégagé n’a pu être que putatif. Se pose aussitôt un problème de légitimité qui, même sans reconnaissance naturelle, produit des effets juridiques.


2 . La Consultation :


L’article 72-4 de la Constitution, rend obligatoire la consultation de la population concernée par tout changement statutaire qui lui serait proposé.


Cette consultation est organisée, à la demande conjointe du département et de la région, selon les dispositions du Code électoral prévues par la loi 4124-1. Celle-ci souligne entre autre que « le gouvernement ne peut donner suite à la demande que si le projet de fusion recueille la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits ».


Même si la loi ne vise pas explicitement ce mode de consultation, il est assimilable à l’élection des conseillers généraux et régionaux.


Les résultats de Janvier 2010 ne répondent pas à cette obligation et Sarkozy a passé outre.


3 . La Collectivité unique :


Lors de la campagne électorale prévue dans le cadre de la Consultation, il n’était question que d’une Assemblée Unique exerçant les compétences du département et de la région. Les partisans d’une Collectivité Unique étaient assimilés à des adeptes de l’Art. 74.


La question finale posée aux Martiniquais est celle-ci : « Approuvez-vous la création d’une Collectivité Unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 de la Constitution ? »


Un retour à la Constitution, Art 73, nous démontre que, s’agissant d’Assemblée unique ou de Collectivité unique, seul, son dernier alinéa en fait mention pour préciser : « La création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ».


L’interprétation de cet ultime paragraphe ne laisse pas d’ambiguïté : une Collectivité unique se substitue au département et à la région ; une Assemblée Unique exerce les compétences dévolues au département et à la région sous-entendu sans les faire disparaître.


Or la consultation a porté sur l’association du terme Collectivité Unique avec le participe présent « exerçant les compétences… » là où la Constitution distingue les deux termes quand on sait que dans le cas d’une Collectivité unique cette tâche devient automatique. Pour mémoire la question posée en 2003 avait repris clairement le terme de la Constitution « se substituant au département et à la région ».


Même si, conformément à la Constitution, la loi du 27 Juillet 2011 crée la Collectivité unique, le Parlement français a bâti sur une confusion juridique qui rend vulnérable ce statut qu’on nous propose.


Bien sûr, il est facile pour nous d’incriminer Paris. Il s’est d’ailleurs toujours distingué au prétexte d’adaptation des lois, pour nous sortir trop souvent, en outremer, des codas tout à fait fantaisistes.


Mais en l’occurrence, ce qui est alarmant, c’est que ce bataclan conçu fugitivement et dans l’ombre, loin des martiniquais mais impliquant certain martiniquais, a l’air de n’inquiéter personne. Chacun a les yeux rivés sur 2015 et la bourse des paris est ouverte !


Mon sens de la responsabilité justifie cette alerte car la Martinique peut être durablement affectée par ce qui en sortira même si la raison pousse à rappeler que ce sont les hommes, dans l’exercice de leur ministère qui décident des bonnes constitutions et des dangereuses dictatures.


Siméon SALPETRIER